Aujourd’hui, cela fait 1 an depuis la publication de la première Jazzette, le 1er février 2021. Au tout début, je prévoyais d’écrire un article par semaine. C’est une pratique assez courante, je crois, de se donner des objectifs en terme de rythme. Un article par semaine, cela aurait fait 52 articles. J’ai tenu ce rythme cinq semaines, puis j’ai espacé à deux semaines, et puis finalement j’écris quand c’est le bon moment pour moi, quand je suis prête. 20 articles par rapport à 52, on pourrait dire que je suis loin de mon objectif initial. Je pourrais me justifier en disant que je manquais de temps, que si j’avais plus de temps, j’aurais écrit plus d’articles.
Aujourd’hui, j’ai envie d’écrire sur cette idée de manque de temps. À la base de cette idée, il y a la mesure du temps. Grâce à nos horloges, nous pouvons mesurer précisément le temps qui passe. Notre temps est mesuré, divisé en tranches, années, mois, semaines, jours, heures, minutes, secondes. Nous avons tous les outils pour gérer ce temps, des calendriers pour planifier des tâches et des rendez-vous, des techniques de productivité pour nous aider à optimiser notre emploi du temps, et ainsi ne pas “perdre” une seconde.
Pour arriver à nous dire que nous manquons de temps, il nous faut pouvoir mesurer ce temps et le comparer à un idéal. Mais comment est-ce possible ? Quand on y pense, le temps est là, depuis le début. J’ai un temps illimité à vivre. Illimité, car je n’en vois pas la fin. Le temps s’écoule sans fin. Mais avec les horloges et les calendriers, il est possible d’apercevoir une fin. Une journée se termine au bout de 24h, une semaine au bout de sept jours, une année au bout de douze mois, et avec l’estimation de notre espérance de vie, je peux même imaginer le temps qu’il me reste à vivre. Ce qui en y pensant, n’a pas vraiment d’intérêt, à part nous déconnecter de notre réalité.
Et donc, en regardant nos montres, chaque jour on voit le temps se terminer. Au lieu de le voir en abondance, on ne fait qu’y mettre fin. On met fin à nos journées, on met fin à nos mois et à nos années. Et avec cette perspective, il est difficile de réellement faire l’expérience du temps.
J’ai lu un livre trouvé par hasard dans une petite librairie en occasion, “Le Papalagui”, rapportant des propos d’un chef de tribu samoan sur la culture européenne au début du 20e siècle (le mot Papalagui désignant l’homme blanc). C’est assez surprenant comme lecture, avec un regard aussi extérieur, et il y a un chapitre sur le temps intitulé “Le Papalagui n’a pas le temps” dont voici un petit extrait :
« Supposons que le Blanc ait envie de faire quelque chose que son coeur désire ; Il voudrait peut-être aller au soleil ou faire de la pirogue sur le fleuve ou aimer sa femme, eh bien, presque toujours il laisse son envie se gâter en s’arrêtant à cette pensée : je n’ai pas le temps d’être heureux. Le temps voulu a beau être là, il ne le voit même pas avec la meilleure volonté du monde, et il invoque mille choses qui lui prennent son temps. »
Lorsque le temps est considéré comme une ressource, il devient difficile de prendre le temps de faire ce que l’on aime. Car toute activité peut être mesurée et jugée en fonction de son utilité et de son efficacité. Il en résulte par moments une grande flemme à l’idée de faire quoi que ce soit. Flemme de travailler, flemme de sortir, flemme de lire un livre, alors on allume son écran et on regarde une série. Ouf, je peux enfin oublier cette tyrannie de l’efficacité, et passer le temps sans réfléchir.
L’efficacité peut pourtant sembler une bonne chose. Après tout, si je peux faire quelque chose plus rapidement, pourquoi m’en priver ? Cela me laissera du temps libre. Et c’est peut-être là que réside un piège. Qu’est-ce que je fais avec ce temps libre ? Il me semble que les technologies existantes nous permettent déjà de faire des choses plus vite, que ce soit au travail ou à la maison, et dans nos transports. Ce qui arrive, c’est que ce temps libre, bien souvent, est utilisé pour faire plus de choses. Après tout, pourquoi s’en priver ? La logique de productivité veut que mon temps soit toujours bien utilisé, il n’y a pas de limite.
Pour retrouver l’abondance de temps, il faudrait arrêter de le contrôler. Notre attention ne peut pas se trouver à deux endroits en même temps : soit je fais l’expérience du temps, soit je le mesure. Mais je ne peux pas faire les deux en même temps.
Lorsque j’arrive à voir le temps illimité que j’ai, je peux enfin souffler et ressentir une grande joie de vivre.
Références
Le livre “Le Papalagui”, de Erich Scheurmann.
J’ai beaucoup apprécié la lecture du dernier livre de Oliver Burkeman : “Four Thousand Weeks : Time Management for Mortals”. Je le recommande à toutes les personnes souffrant de manque de temps. En voici un extrait :
« There’s another sense in which treating time as something that we own and get to control seems to make life worse. Inevitably, we become obsessed with “using it well,” whereupon we discover an unfortunate truth: the more you focus on using time well, the more each day begins to feel like something you have to get through, en route to some calmer, better, more fulfilling point in the future, which never actually arrives. »
Prochaine bulle d’air
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Les Jazzettes est un espace de réflexion sur le rapport au temps. À travers l’offre Jazz, je souhaite aider les personnes à prendre du recul sur leur quotidien, réfléchir à leur rapport au temps, et retrouver une certaine liberté de choix et d’organisation. Si cela vous parle, vous pouvez m’écrire directement en répondant à cette newsletter, ou en allant sur alento.fr.
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